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Violences sur mineurs en milieu scolaire : le témoignage d'un militant retraité, 60 ans après

Hubert Duchscher, instituteur mosellan retraité et militant SNUipp et FSU de longue date, apporte un témoignage poignant qui fait écho au « régime de la terreur » que d’anciens élèves ont vécu au sein de l’établissement catholique privé Notre-Dame de Bétharram dans les Pyrénées-Atlantiques, en nous partageant son vécu bouleversant dans un internat mosellan durant les années 1960.

Publié le 28-02-2025 - MAJ il y a 2 mois

Hubert Duchscher : 60 ans après

« La lecture des témoignages de l’affaire Bétharam m’a renvoyé comme un boomerang ma propre expérience dans une école privée catholique sous contrat, de 1966 à 1969. J’ai passé trois années scolaires dans cet établissement géré par la Congrégation du Sacré Coeur de Picpus à Burthécourt dans une belle bâtisse entourée d’un grand parc arboré sur les bords de la Seille en Moselle. C’était le régime de l’internat pour tout le monde avec un retour en famille aux vacances scolaires ; à 11 ans, j’allais découvrir cet univers fermé, rythmé par les cours scolaires et les nombreuses manifestations spirituelles (messe quotidienne, prières et cantiques à chaque repas, à chaque heure de cours, du lever au coucher…). Nous finissions par ressembler à de véritables moulins à prières qui mécaniquement débitaient les mêmes refrains. Cette ferveur religieuse se déroulait dans un climat froid et anxiogène, la discipline était stricte et rigide ; la brutalité, les violences et les humiliations étaient un mode de fonctionnement ordinaire.

Les déplacements sous surveillance permanente, tout comme le déroulement des offices étaient des moments à haut risque : le moindre écart, le moindre chuchotement pouvait déboucher sur une sévère « torgnole » aussi soudaine qu’inattendue. Au-delà de ces corrections « banales et ordinaires », il y avait surtout le spectacle punitif, cruel et démonstratif, chargé d’inspirer crainte et effroi.

Ainsi j’ai été victime un jour de la furie du frère Robert chargé de la surveillance du dortoir. Avec un camarade, nous avions commis le crime de chuchotement pendant la séquence de brossage des dents ; le frère Robert nous a attrapés par le pyjama et traînés au milieu du dortoir, nous a contraints à nous agenouiller ; puis ce fut l’extinction des feux, le dortoir plongea dans le noir ; nous étions là, tremblants, à mâchouiller le dentifrice que nous n’avions pas eu le temps de recracher, à attendre la suite de la sentence…qui arriva deux heures plus tard : lumières rallumées, tous les pensionnaires réveillés pour assister au spectacle. Muni de son gros bâton, le frère Robert s’acharna sur notre dos ; plus nous hurlions de douleur, plus il enrageait, avant de nous jeter sur nos lits et de s’en retourner ronfler dans sa chambre tel un fauve rassasié.

Il y avait aussi le père Morand, chargé de l’ordre, de la discipline et des « bonnes mœurs ». Ainsi le courrier entrant et sortant était ouvert et contrôlé ; tout livre apporté de la maison devait lui être soumis pour approbation… Il avait mis en place une organisation quasi-militaire, doublée d’une surveillance étroite et intrusive. Nous étions répartis en équipes ; chacune était dotée d’un chef choisi par le père Morand. Fut alors instauré un système de points (bons ou mauvais) que chacun apportait à son collectif ; à la fin de chaque quinzaine, il organisait une cérémonie avec classement des équipes, désignant les bons et surtout les mauvais éléments. Durant l’heure d’étude qui précédait ce moment crucial, il venait chercher un à un les élèves qui « plombaient » le classement de leur équipe, les emmenait dans la salle de classe à côté de la grande salle d’étude où nous faisions nos devoirs et d’où l’on pouvait entendre les échos du châtiment. Pour quelques bavardages, j’ai eu droit à ce traitement : allongé de force sur le bureau, face contre terre, il n’y avait plus qu’à encaisser les coups de bâton ; toute tentative de résistance le rendait encore plus furieux et ne faisait qu’intensifier sa force de frappe !

Il y avait aussi des moments « privilégiés », où on nous accordait une marque d’attention particulière ; cela se passait avec notre confesseur appelé « directeur de conscience », qui nous recevait individuellement dans l’intimité de sa chambre. On avait expliqué à nos parents que c’était lui qui était aussi en charge de notre éducation sexuelle. Toutes les conditions étaient réunies. J’ai eu droit aux manœuvres d’approche : « Je peux te montrer comment ton père a déposé (...) » mais tout s’est arrêté quand j’ai hurlé mon refus. Pourtant les récits d’attouchements et de scènes « d’application de pommade » se chuchotaient dans les coins de la cour de récréation quand on pouvait échapper à la vigilance de nos gardiens.

Les ecclésiastiques qui nous encadraient n’étaient peut-être pas tous des « brutes épaisses » ou des pervers sexuels, mais aucun ne remettait en cause le mode de fonctionnement de l’institution qui alliait pédagogie du « dressage » et pratiques musclées, et tolérait l’intrusion dans l’intimité des élèves pour assouvir les fantasmes sexuels de certains d’entre eux.

Que savaient, que faisaient les familles, les parents ?

Quand suite à mes plaintes, mon père allait s’enquérir chez le père supérieur, celui-ci calmait, minimisait…et tout rentrait dans l’ordre. Quand j’ai parlé des attouchements pratiqués sur certains de mes camarades, mon grand-père s’en inquiéta auprès d’un curé qu’il invitait parfois à déjeuner ; ce dernier lui répondit que ce sont des choses qui malheureusement pouvaient parfois arriver… « ite missa est ».

Il ne faut pas oublier que ces familles, souvent d’origine modeste, étaient très croyantes, très pratiquantes. Aveuglées par leur foi, elles confiaient l’instruction et l’éducation de leurs enfants à ces auxiliaires de Dieu, et comme le TOUT PUISSANT est infiniment bon, ses représentants ici-bas l’étaient forcément aussi, ils avaient un statut « d’intouchables ».

Pour essayer d’épargner à leurs enfants les coups de colère des serviteurs de Dieu, il y avait tout de même une recette qui fonctionnait assez bien ! Tous les quinze jours, le dimanche après-midi, c’était jour de visite des familles ; elles pouvaient aller à la rencontre de nos professeurs-éducateurs qui les attendaient bras ouverts et main tendue, quelques billets glissés dans la poche, de petits cadeaux très appréciés pouvaient se traduire par un traitement plus doux ; on pouvait aussi rendre visite au père de l’économat pour payer des messes, faire un don pour les missions… La cupidité faisait bon ménage avec le bénitier !

Bien sûr ces frais annexes se rajoutaient aux frais de pension et de scolarité qui pesaient lourd dans le budget d’une famille modeste. La règle était assez simple : plus les origines étaient modestes, plus étaient grandes les chances de prendre des roustes et plus on y mettait de moyens, mieux on pouvait y échapper !

A 13 ans, j’étais un élève curieux qui voulait découvrir et comprendre le monde et qui ne supportait plus cet enfermement communautaire fait de violence, de bigoterie et de faux-semblants. Au bout de trois ans, j’ai obtenu de mes parents qu’ils me retirent de cet enfer à la fin de l’année scolaire 1968-1969.

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour dénoncer ces faits ? [NDLR : publiquement] Tout simplement parce qu’une fois la page tournée, on a juste envie d’oublier, d’enfouir ces scènes de cruauté, d’humiliation ; puis on est rattrapé par l’actualité, entendre les dénégations et mensonges de ceux qui savaient et se taisaient donne juste envie de hurler sa vérité. »

Hubert Duchscher, le 24 février 2025
Ancien secrétaire national du SNUipp et membre du secteur Droits libertés de la FSU.

Hubert n’a eu de cesse de se battre pour l’Ecole publique et la laïcité tout au long de sa carrière d’instituteur puis même une fois à la retraite, notamment sur le plan syndical en militant au sein du SNI devenu SNUipp et de la FEN devenue FSU, que ce soit localement, départementalement puis nationalement. Encore aujourd’hui, il organise régulièrement, avec son camarade militant retraité du SNEP-FSU Roland Rouzeau, des stages de formation syndicale FSU à propos de la laïcité pour continuer à sensibiliser les personnels de l’éducation sur l’importance de celle-ci.

Stage "Laïcité" organisé par la FSU 57 le 7 écembre 2023 (à gauche : Roland Rouzeau / à droite : Hubert Duchscher)

Nos militants FSU 57, Hubert Duchscher et Roland Rouzeau, ont tous deux contribué à un ouvrage intitulé "La Laïcité à l’Ecole : pour un apaisement nécessaire" (Ed. L’Atelier) publié en 2021, sous la direction de Paul Devin, notamment sur la particularité du statut de l’Alsace-Moselle vis-à-vis du séparatisme religieux des Eglises et de l’Etat du fait du Concordat.

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